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  Sent: Friday, November 12, 2004 5:15 
  PM
  Subject: [nettime-fr] DU VISIBLE A 
  L'INVISIBLE
  
  DE L'INVISIBLE AU VISIBLE ET DU 
  VISIBLE A L'INVISIBLE
  
  Tous les moyens de communication 
  qui émergent et se perfectionnent, de jour en jour, un peu plus, placent 
  l'homme dans une biosphère communicationnelle. Dans un environnement et un 
  contexte, qui constituent pour lui un nouveau milieu d'existence. Un milieu 
  dans lequel ses façons d'appréhender le monde, de le sentir, de le vivre, 
  changent radicalement. Cette situation historique, inédite, constitue un fait 
  sans précédent pour le devenir de l'humanité. Nous pourrions comparer cette 
  évolution, en termes d'importance, aux conséquences fondamentales qui ont 
  affecté, dans la nuit des temps, le passage de certaines espèces vivantes, du 
  milieu aquatique à la terre ferme.
  En signant et en publiant le 
  manifeste de l'Esthétique de la communication,
  
  http://www.webnetmuseum.org/html/fr/expo_retr_fredforest/textes_divers/4manifeste_esth_com_fr.htm#text
  
  en 1983, il y a donc déjà plus 
  de vingt ans,, nous ne faisions pas autre chose, avec Mario Costa, que 
  d'anticiper sur les conséquences qui affecteraient le domaine de l'art, 
  lui-même, du fait de la multiplication des échanges et des flux-télé 
  électroniques planétaires. Si l'on veut bien considérer que le domaine de 
  l'art n'est pas une activité isolée en soi, placée idéologiquement en dehors 
  de la société et de ses mutations, force est de constater que l'art, lui-même, 
  dans ses modes de productions et de diffusion, va s'en trouver radicalement 
  transformé. Cela est un fait. Mais ce qu'il est beaucoup plus difficile 
  d'évaluer, c'est ce qui va changer dans nos modes de perception de la " chose 
  " art. Nous sommes en effet beaucoup trop conditionnés, encore, par une 
  culture plastique et visuelle très prégnante. Cette dernière nous a appris à 
  voir et à sentir essentiellement par le " voir ". Il est cependant un mode de 
  rapport au monde et de son appréhension qui se fonde sur d'autres facteurs que 
  ceux, quasi exclusifs, de la vision rétinienne. Yves Klein a eu le mérite (et 
  en ce sens il est plus "moderne" et visionnaire qu'un Duchamp, plus cérébral) 
  d'attirer notre attention sur les zones de sensibilité. Son exposition du vide 
  chez Iris Clert dénote, à ce titre, d'une tentative et d'une conscience, qui 
  anticipent sur des évolutions de l'art, échappant à la " matière " et aux 
  formes intrinsèquement, dites, picturales. Nous sommes dans " autre chose". Et 
  cet " autre chose " est en phase de connaître, avec le numérique 
  dématérialisé, le virtuel et les réseaux, qui multiplient à distance notre 
  présence au monde, un bouleversement sans précédent, dans ce qu'on appelle 
  l'art depuis des siècles, en le réduisant, trop souvent, d'ailleurs, à ses 
  modèles, plastiques " regardables " et " touchables ".
En novembre 2004, 
  les industriels se préparent en France au lancement du protocole UMTS qui va 
  mettre à disposition du grand public la possibilité de diffuser des images et 
  évidemment du son, sur les téléphones mobiles. L'époque des mobiles (SMS) 
  uniquement vocaux et textuels se voit soudain repoussée dans la préhistoire 
  des téléphones cellulaires. La téléphonie mobile va devenir un nouvel espace 
  de circulations des images animées.
Nous allons être, bientôt, et aux 
  moindres frais, visibles et audibles, à distance, dans le monde entier. Cela 
  augure d'une nouvelle ère, où notre psychologie la plus intime, à notre insu, 
  va s'imprégner, d'une façon toute naturelle, de la notion quasi magique 
  d'ubiquité. Cette dernière ne tardant pas, d'ailleurs, à se voir banalisée, 
  elle-même, au quotidien, comme l'ont pu l'être des pratiques ancestrales, 
  soudain dévitalisées, par l'irruption de l'invention technologique, mise au 
  service des consommateurs impénitents que nous sommes. Les effets et les 
  applications d'une telle situation sont immenses, car ils sont susceptibles 
  d'induire et de développer, en nous, des besoins qui nous poussent à être 
  connectés (hier s'était branchés !), désormais, en permanence, à une matrice 
  originelle, constituée du maillage serré des réseaux. Pour nous trouver dans 
  la situation paradoxale d'être, simultanément et physiquement, ici, en même 
  temps que nous sommes projetés, virtuellement, hors de notre corps, et 
  ailleurs. C'est cela même que les artistes et théoriciens, protagonistes de 
  l'esthétique de la communication, ont pratiqués et théorisés, notamment en 
  France, en Italie et au Canada. Les utilisateurs et utilisatrices de l'UMTS 
  vont, prochainement, comme monsieur Jourdain faisait de la prose, faire de 
  l'esthétique de la communication sans le savoirŠQuand une technologie se 
  généralise, elle devient, avec un peu de chance, un matériau et une pratique 
  pour l'art. Un énorme réseau de circulation d'images sur Internet va se 
  doubler et se combiner avec celui des portables de génération UMTS. Sa 
  dimension culturelle sera immense. Les prédictions de Walter Benjamin et ses 
  théories sur la reproductibilité des images sont très en de ça de la marée 
  d'informations visuelles qui risquent de déferler dans la sphère publique 
  comme dans la sphère privée, dans les prochaines décennies. L'art 
  contemporain, comme on le constate actuellement, est bien capable de récupérer 
  et de mettre en forme, ici ou là, de façon épidermique, des fragments de cette 
  mutation, mais ces tentatives restent vouées à l'échec. La raison en est à la 
  fois simple et évidente. Contrairement à la musique, d'essence abstraite, les 
  arts plastiques sont encore lourds de leur matérialité et de leur dépendance à 
  l'objet. Le CD, ou le DVD, sont des supports idéals pour un marché de 
  l'oreille, mais l'¦il en est encore à chercher le sien dans le domaine du 
  numérique. Ce marché reste encore entièrement à inventer, car ni un CD, ni un 
  DVD, ne s'accrochent, encadrés sur un mur, pour être en mesure de satisfaire à 
  une demande qui reste avant tout la fonction" décorative", dévolue à l'objet. 
  Quand les écrans plasma, au moyen de leur dimension et leur multiplication, 
  auront envahi nos lieux de vie, peut-être, alors, et seulement, à ce 
  moment-là, un marché du numérique pour l'¦il pourra naître et s'imposerŠEncore 
  faudra-t-il que les artistes s'adaptent et répondent à la demande pour ce 
  qu'elle attend. L'art numérique, dans le système actuel de l'art contemporain, 
  lié aux critères et aux exigences du marché n'a aucune perspective réaliste 
  qui s'ouvre devant lui, car l'économie du marché de l'art est fondée 
  principalement sur une économie de l'objet. Il est à noter que dans d'autres 
  secteurs de la société, ceux des services et de l'industrie, pour ne citer 
  qu'eux, nous sommes déjà, pourtant, dans l'économie de l'information... Il y a 
  par contre en France un marché des subventions et des aides publiques pour 
  l'art numérique, mais encore faut-il faire partie du sérail pour en 
  bénéficier, ou d'une bonne conjoncture des astres, une fois tous les dix ans. 
  Ce marché à ces champions, comme le marché de l'art contemporain a les siens, 
  on verra bien ce qu'il en restera dans dix ans ?
  
Tout cela, pour en revenir à 
  notre propos, c'est-à-dire aux mérites comparés, en art, entre l'esthétique de 
  l'objet et l'esthétique de la communication, ou, si l'on préfère, l'esthétique 
  de la relation ou de l'information. Dans la première, on fabrique des objets, 
  on fait leur promotion à la FIAC et on les vend dans des boutiques de luxe, 
  qu'on appelle les galeries.
Dans les secondes, on met en place des 
  dispositifs de communication, là ou l'on peut et quand on peut. L'¦uvre 
  finalement n'existe que dans la tête de celui qui en capte les signaux croisés 
  et qui les interprète. L'¦uvre est formée d'une façon constitutive d'un flux 
  d'informations. Elle n'est, à proprement parler, ni sonore, ni visuelle, ni 
  scripturale, même si des bruits, des lumières ou des couleurs, peuvent 
  participer à sa fabrication/élaboration/construction. L'¦uvre est invisible, 
  et, en fait, se constitue et s'incarne, en temps réel, dans l'entre deux, 
  trois ou quatreŠselon le nombre d'éléments " émetteurs " d'informations, que 
  compte le dispositif. Sachant, toutefois, que l'interacteur (le public) est 
  possiblement, lui-même, un de ces émetteurs.
Inutile de le préciser ; 
  l'¦uvre est, bien entendu, invendable !
De toute façon elle n'a jamais été 
  faite pour cela. Mais si jamais, d'aventure, un collectionneur original, le 
  Palais Tokyo ou Artémis voulait en faire acquisition, il ne tient, au plus 
  offrant, que d'ajouter trois zéros au montant qu'il avait initialement 
  prévu.
Tout cela pour dire, enfin, que les ¦uvres dites numériques 
  peuvent être autre chose que quelques signes et couleurs sur un écran, avec en 
  prime, quelques errances scripturales empruntées à Rousseau, Sollers ou 
  Tartempion. Il est temps d'inventer quelque chose qui soit de l'ordre du 
  numérique, et qui ne soit plus, surtout, ni de la peinture, ni de la 
  littérature, dont des modèles, encore si prégnants, encombrent nos 
  horizons.
Ce que nous voyons aujourd'hui ressemble beaucoup trop à ce que 
  nous avons déjà vu, et fait, hier. Ce que nous voyons produit, aujourd'hui, 
  dans l'ordre du numérique, avec ce media nouveau, est beaucoup trop, comment 
  dirais-je, visuelŠOui, c'est cela, trop visuel !
Nous militons donc pour 
  des ¦uvres-systèmes invisibles.
  Des ¦uvres cognitives, où le 
  numérique ne se pose pas, stricto sensu, en termes de fabrication et 
  production d'images numériques, mais comme système de langages intégrés, dont 
  la finalité, par des dispositifs inédits, vise, avant tout, non pas à produire 
  des images numériques pour les yeux mais à susciter des images 
  mentales.
  Fred Forest
  "Territoire"
  9 novembre 2004
  http://www.fredforest.org
  http://www.webnetmuseum.org